Interview de Patrick CHAIZE, sénateur de l’Ain et président, nouvellement reconduit, de l’Avicca.
Cette association nationale de collectivités milite depuis bientôt 40 ans pour la transformation numérique des territoires via le câble puis la fibre, les réseaux mobiles et bas débit pour les objets connectés.
QUELLE EST VOTRE VISION SUR L’ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE DES RÉSEAUX D’INITIATIVE PUBLIQUE (RIP) FTTH ?
Nous marchons sur un fil ou sur un chemin de crête. D’un côté, nous avons une obligation d’être à l’équilibre financier : nous ne pouvons pas recevoir des subventions pour l’exploitation des réseaux car celles-ci seraient requalifiées d’aides d’État illégales dans un marché des télécommunications hautement concurrentiel.
De l’autre côté, nous avons l’ARCEP qui pousse à ce que les tarifs en zones privées et publiques convergent faute de quoi les offres de détails aux particuliers comme aux entreprises pourraient être différentes d’un point à un autre du territoire. Or je vous rappelle que les collectivités (avec l’aide de l’Etat et de l’Europe) déploient dans des zones au mieux peu rentables, mais le plus souvent déficitaires. Nous construisons des lignes beaucoup plus longues, souvent en aérien, ce qui revient plus cher en exploitation. Il y a en effet plus d’incidents.
Le tout aboutit à une dépéréquation -que je qualifierais d’historique- qui reste encore et toujours non compensée. Face à cette équation impossible, certains RIP, comme la SPL Nouvelle Aquitaine, ont sauté le pas et augmentent leurs tarifs de location aux opérateurs commerciaux…
CELA DÉPEND DU CONTEXTE DE DÉPLOIEMENT EN ZONE RURALE, VOIRE “D’HYPER-RURALITÉ”, COMME C’EST LE CAS SUR LE PÉRIMÈTRE DE DORSAL ?
Notre crédo, c’est le FttH pour tous. Nous avons été suivis en cela, de manière plus ou moins courageuse et continue, par l’État et ses services depuis une vingtaine d’années… Nous sommes d’ailleurs vigilants sur le nouvel accord avec Orange, signé récemment par le Gouvernement (voir en rubrique actualité de cette lettre). Alors que les déploiements des RIP s’achèvent, le plus souvent sans dépassement de délai, malgré la crise Covid, malgré les ruptures de matériels (poteaux, fibre, etc.), malgré les changements réglementaires, et je passe sur les coups bas ou autres chausses trappes (…), il y a un paradoxe : c’est que les zones hyper rurales sont les mieux fibrées.
C’est par exemple le cas du département de la Corrèze dont la zone rurale est plus couverte que Paris ! Dans ce même département, Tulle et Brive-la-Gaillarde restent mal desservies en FttH prouvant ainsi l’attentisme de SFR et d’Orange à déployer les zones privées qu’ils ont pourtant eux-mêmes choisies depuis 2011… La ruralité n’est pas qu’un problème économique, c’est une question de volonté politique et de solidarité collective.
J’ajoute que désormais l’enjeu majeur pour les zones rurales comme hyper-rurales est d’avoir des coûts d’exploitation compensés faute de quoi les habitants pourraient un jour ou l’autre s’apercevoir que leur abonnement FttH leur coûte plus cher qu’en ville, rompant ainsi le pacte républicain d’égalité et la cohésion des territoires.
QUEL EST VOTRE AVIS JUSTEMENT SUR L’ABSENCE DE PÉRÉQUATION TARIFAIRE DE L’EXPLOITATION DES RIP ?
C’est l’incompréhension qui domine du côté des collectivités engagées dans le déploiement de la fibre pour tous leurs administrés. Alors qu’à l’Avicca, nos premières demandes d’une prise en compte de ce sujet remontent à … 2017 ! A chaque projet de loi de finances, en tant que sénateur et président de cette association qui œuvre à la transformation numérique de nos territoires depuis bientôt 40 ans (via le câble puis la fibre, les réseaux mobiles et bas débit pour les objets connectés), je propose un outil pour mettre en place la péréquation. A chaque fois les gouvernements successifs nous en empêchent. Mais attention, si demain les collectivités territoriales sont obligées d’augmenter leurs tarifs, c’est bien l’État qui en portera la seule responsabilité et certainement pas les territoires.
ALORS QUEL MÉCANISME PROPOSEZ-VOUS POUR REMÉDIER À CETTE DÉPÉRÉQUATION ?
Le plus simple serait d’alimenter un fonds de péréquation. Soit un fonds qui existe déjà, par exemple le fonds d’aménagement numérique des territoires (FANT) créé par la loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique. Soit, parce qu’il semble que le FANT crispe certains représentants de l’État, un autre fonds à créer : nous ne sommes pas dogmatiques ! Constatons collectivement que c’est quand même bien une aberration d’avoir séparé le déploiement des réseaux sur une zone publique et des zones privées (ZTD, AMII, AMEL, etc.). Cette situation inédite n’existe d’ailleurs que pour les infrastructures de communications électroniques à très haut débit. Ce n’est le cas ni pour les réseaux électriques ni pour l’eau, ni les transports… Le Plan France Très Haut Débit (PFTHD) a su prendre en compte la diversité des territoires en péréquant les déploiements FttH.
Allons aussi vers une péréquation de leur exploitation.